« Bach me fait un bien fou, Bukowski aussi. Le premier n’est qu’aspiration au divin, l’autre se vautre dans un quotidien dont on ne peut rien attendre mais dont il extirpe une poésie crue, directe. Tous les deux m’apaisent, m’insufflent de la vie, me donnent de la force alors que tout les oppose. Aussi je me demande s’il n’y aurait pas moyen d’opérer une fusion, de créer Mr. BachOwsky, un frankenstein de l’art, un hybride avec qui finir ma vie, qui deviendrait mon meilleur ami, mon double et me permettrait de mieux dormir. La compagnie va s’atteler à créer en direct ce nouveau monstre. Puis nous partirons avec lui en camping, ferons les courses, irons au fitness et lirons la bible. Nous userons sa peau à la frotter au réel, pour voir jusqu’où il survivra. Je rêve que BachOwsky nous donne envie de forniquer dans les abattoirs, de nous aimer entre deux carcasses. Pièce intime et poétique, BachOwsky devra nous laisser vivre le gouffre que serait une vie sans art et nous donner envie de créer et créer encore ».
Fabrice Gorgerat
Concept, mise en scène : Fabrice Gorgerat
Interprétation : Tamara Bacci, Julien Faure, Catherine Travelletti
Dramaturgie : Yoann Moreau
Son / Musique : George van Dam, Aurélien Chouzenoux
Coordinateur scientifique : Alain Kaufmann (Université de Lausanne)
Eclairage : Laurent Vergnaud
Costumes : Anna Van Brée
Direction Technique : Yoris Van den Houte
Vidéo : Marc Olivetta
Communication, production : Bénédicte Brunet
Administration : Ivan Pittalis
L’eau, l’encre, le sang, la poussière, des grains de riz, des clous, du lait, des cheveux, du verre brisé, de la terre… Fabrice Gorgerat aime la matière. Et les personnages féminins. Dans ses spectacles, qui sont autant d’immersions sensorielles, le metteur en scène lausannois confie souvent aux figures féminines le soin de réveiller ses fantômes. Car Fabrice Gorgerat est un fou de l’inconscient, cette part enfouie qui raconte l’être humain dans ce qui échappe, résiste, dérape et surprend. Qu’il se penche sur les conséquences d’une catastrophe nucléaire (Médée/Fukushima), le rapport père-fille (Poiscaille Paradis), le spleen provincial (Emma), le rituel du lever (Au matin) ou l’obésité (Manger seul), l’artiste aime voir au-delà du miroir, dans cette zone grise où s’agitent les non-dits, entre élans et tourments.
Son théâtre n’est pas un théâtre de boudoir ou d’alcôve pour autant. Fabrice Gorgerat ne plébiscite pas forcément la vitesse, ses tableaux peuvent se développer à un rythme très lent, comme si le temps arrêté permettait d’aller au cœur des sensations. Mais le metteur en scène ose l’excès, l’outrance, pour dire à plein l’outrage vécu par ses personnages. Emma à Payerne, double romand d’Emma Bovary, crève de solitude et d’ennui ? Les trois comédiennes qui restituent cette errance intérieure vomissent de l’encre noire après avoir ingurgité des litres de lait. Les spectres de Fukushima enragent de ne pouvoir montrer au grand jour la balafre nucléaire, cette catastrophe qui lamine sans bruit, ni odeur ? Les trois comédiennes, témoins de cette horreur, se hérissent de piques, crachent des clous, se scotchent les seins, s’arrachent les cheveux ou soufflent de la poussière sur une ville-cimetière. Formé à l’INSAS (Institut national supérieur des arts du spectacle), à Bruxelles, Fabrice Gorgerat utilise la scène comme un autel de la beauté furieuse, débordant de liquides organiques et d’éléments vivants. Les pièces de l’artiste lausannois sont des parcours où le travail sonore d’Aurélien Chouzenoux et les images d’Estelle Rullier tracent une direction, indiquent une intention. Peu, voire pas de texte, dans le travail de Gorgerat, ces dernières années. Comme si, pour lui, les mots étaient essorés, vidés de leur intensité, à force d’être utilisés. Ou alors, il faut que les mots soient dits en majesté. Comme cette conférence inaugurale dans Médée/Fukushima où Yohann Moreau, dramaturge associé, dresse le portrait de l’accident nucléaire, qui n’est pas la fin de quelque chose, mais le début lancinant d’une nouvelle et néfaste ère.
Fabrice Gorgerat aime la matière. Et les personnages féminins. Incarnés par des comédiennes impliquées, qui proposent, osent, alimentent la flamme sans trembler devant l’excès programmé. L’eau, l’encre, le sang, la poussière… Le théâtre de Gorgerat est une danse au profit du sens où l’humain est pisté dans ses recoins les plus secrets.
Un texte de Marie-Pierre Genecand à l’occasion des 2o ans de la Compagnie Jours Tranquilles
Marie-Pierre Genecand, mars 2015